Je publie ci-dessous le texte — inédit — que me fit parvenir Henri Zukowski (compagnon de Lille-III) à la lecture de l’Ouverture de la pêche (Les Petits Matins, coll. « Les Grands Soirs », avec une postface d’Alain Frontier, 2006).
« L’Ouverture de la pêche :
« lalangue, que j’écris, on le sait, en un seul mot, dans l’espoir de ferrer, elle, lalangue ce qui équivoque avec "faire-réel". »
L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre
L’auteur s’appelle Jacques Barbaut, alors que le titre est L’Ouverture de la pêche. Dès lors, on a, sans trop de peine, tendance à relever la métaphore halieutique, dès lors se relève une métaphore pour le moins usée. L’auteur s’entendant par homophonie barbeau (poisson d’eau douce à barbillons), la pêche du titre (re)prend tout son sens, s’avère plus que jamais approprié le cliché - inhérent à ce que l’un et l’autre ont affaire avec des lignes -, de l’auteur en tant que pêcheur.
S’en tenir à ça serait ne pas capter ce qui aussitôt cloche au bout des lignes, ce qui entraîne que, sitôt qu’on croit s’en emparer, elles fuient, elles filent.
A se réapproprier ainsi, par le biais d’un glissement du nom propre de l’auteur au nom commun d’un poisson, la métaphore du titre n’advient en effet pas sans scandale logique, la similarité ne s’impose pas sans perte de coordonnées ; car, qu’est-ce qui est impliqué par le fait que l’auteur se trouve identifié au pêcheur tout durant que son nom rejoint celui d’une espèce de carpe, sinon une impensable métamorphose, sinon une impossible transformation du pêcheur lui-même en poisson ? Barbaut, l’auteur de « la pêche », le pêcheur donc, est un barbeau, un cyprin ; le pêcheur est un poisson.
En même temps que se profile l’écrivain-pêcheur-à-la-ligne, se produit cet emboîtement du hammeçonneur par le hammeçonné. Les axes vectoriels, les données dimensionnelles, positionnelles, dérapent, sujet et objet, pêcheur et poisson, se prennent l’un dans l’autre, avant que l’un puisse être en position de prendre et l’autre en posture d’être pris.
Non pas seulement qu’un anomal « poisson-pêcheur » vienne, « attraper », abuser, leurrer, l’auteur-pêcheur, le prendre à rebours, à revers, à son propre jeu, pour finalement le renverser ; non pas que les rôles s’inversent simplement pour se réifier dans l’encore trop connue figure de l’attrapeur-attrapé ; ils font plus ou moins que s’inverser, et aucune figure n’est plus à même de les récupérer.
C’est en contribuant à l’instaurer que la subversion synecdochique déporte l’identification métaphorique. Dès lors qu’elles se plient de la sorte l’une à l’autre, les figures de rhétorique coulent, n’en finissent plus de couler, sortent d’elles-mêmes pour n’y plus revenir, pour ne plus revenir à quoi que ce soit d’assuré. D’entrée coulissent les tubulures d’une étrange canne télescopique, rétro-rétractile, lesquelles, se retournant sans arrêt, ne s’emboitent jamais ici qu’à se déboîter là, lesquelles engageant incessamment les pôles inverses, les dimensions adverses (le propre et le commun, le préhendant et le préhendé, l’équilibre métaphorique et la déstabilisation métonymique) dans leurs opposés, ne peuvent plus à aucun moment être appréhendées en tant que telles. Sans qu’il y ait encore de l’ici et du là à repérer, du ceci et du cela à répartir, répertorier, discriminer, ça coulisse. Oui, dès la c’ouverture, une étrange canne à tiges tubulaires em-dé-boitées entube l’attrapeur non moins que l’attrapé, l’attrapé autant que l’attrapeur.
Mais, dès lors qu’opère dès l’abord une telle méprise, diront d’aucuns, quelles pièces, le lecteur, à son tour, sera-t-il susceptible de prendre là ?
Celles qui, justement, empêchent la méprise de se livrer en tant que telle. Des pièces-surprises qui n’ont de cesse que de prendre à l’improviste à l’instant où l’on croit les saisir telles qu’en elles-mêmes.
D’éblouissantes pièces ; les éclairs, les étincelants coups d’éclats, coups d’écailles, que laisse le soudain, le prompt, l’éphémère surgissement de pièces hors tout.
- Quelles pièces ?
- Antigone, - par exemple, dans les coulisses de laquelle on s’enfonce tout de suite, dans les à côtés de laquelle on pénètre d’emblée sans pour autant, dérapant aussitôt, mettre les pieds dans quelque endroit que ce soit :
- Antigone, l’enterrée vive, « en plein air » ; Antigone, qu’un texte célèbre de Hölderlin » déclare « devenue pareille au désert », « au théâtre de verdure » ; Antigone, fleuron des Lettres Françaises s’il en est, « devant l’entrée du camping »… - Est-il besoin d’insister ? Oui et non. C’est la dis-location, la dis-locution, généralisées. A peine l’avez vous extraite du texte, à peine pend-elle au bout de votre ligne, que la pièce qui porte le nom d’Antigone, décrochant de tous ses signifiés prescrits, empêche de décider des lieux et des lexiques depuis lesquels pourrait encore se faire entendre quelque réplique, quelque tirade en bonne et due forme. Antigone n’advient qu’à se livrer sans délai à son Dehors, à ce qui lui fait pièce, qu’à franchir les antithèses, les limites séparant les lieux prétendument antagoniques, qu’à outrepasser l’antinomie de l’endroit et de l’envers (du décor), qu’à excéder toutes les bienséances de n’avoir déjà plus aucun céans/séant. A s’afficher avec insistance, les coulisses coulissent, ne tiennent pas en place (se) glissent quasi illico sur le devant de la scène pour ne dès lors plus laisser subsister aucune scène, aucun espace scénique ou périphérique en tant que tels. Avant que d’être jouée, la pièce joue déjà comme un incontrôlable curseur qui irait sans arrêt du centre vers les côtés, du dessus vers le dessous, de l’avant vers l’arrière, qui serait toujours déjà là-bas quand on l’attend ici, - et ailleurs là.
Est-ce à dire que ladite pièce s’installe, prend place, s’arrête, dès lors dans la, (les) coulisse(s) elle-même(s) ? - Plutôt qu’elle y prend (toutes les) place(s) sans s’y installer.
En effet, il est encore à noter qu’à se dés-intégrer ainsi - Antigone – réintègre - fait droit à l’endroit de - son nom. – Antigone, c’est, littéralement : - anti, préfixe : qui est l’opposé, le contraire de : gone, suffixe : angle, côté (cf. octo-gone, poly-gone, par ex.) Soit – Anti-gone - ce qui est à l’opposé des côtés, ou encore ce qui est avant les côtés (cf. antidate), soit le contraire, l’antériorité, de la géométrie euclidienne.
Pris à la lettre, le nom de la pièce pointe indéniablement ce qui s’oppose à l’espace classique dans lequel les différents côtés sont répartis pour former des figures, assigner des places, cloisonner des lieux, le nom transcrit bien le décloisonnement, la désintégration, qui viennent de se produire, il leur est parfaitement adapté. - La pièce s’y ajuste.
Mais ne s’y ajuste dès lors que pour achever de perdre toute dimension délimitable. Revenant vers soi tout en se délocalisant, disloquant, la pièce - Anti-gone – cesse d’être à même de se réapproprier dans l’impropre, laisse la propriété et l’impropriété en rapport d’insoluble ressemblance, suscite une réappropriation qu’elle rend simultanément caduque. A encore inscrire, transcrire, ce qu’elle est en l’occurrence, (un coulissement, un décloisonnement, l’autre de l’euclidien) Antigone arrête de l’être, - et ainsi le reste - reste venue aléatoire du tout autre. Désintégrant son nom pour le réintégrer, ne le réintégrant qu’à le désintégrer, la pièce se déprend de sa propre vérité.
De la sorte re-présentée, reversée à l’autre sans arrêt, Antigone sort à jamais de son cadre, le déborde pour n’y plus nulle part pouvoir rentrer. Re-présentation, pièce dont l’effectivité est rongée par un re- qui, ne cesse de la différer, qui l’empêche de coïncider avec soi à l’instant où on la prend. Oui, prenez-la, ici ou là, et ce ne sera jamais ça.
Essayez alors de capturer la pièce d’à-côté :
Là, ça a l’air facile, un bref coup de poignet et hop ! Mais enfin c’est une prise bien mince, un trivial slogan publicitaire, - on dirait d’un ready-made verbal ?!
Justement, - prenez garde à la finesse de cette minceur ! Expert que JB a toujours été en « infra-mince », c’est là sa touche, qui, sans avoir l’air d’y toucher, touche à tout, ne laisse aucune coordonnée en place, aucune donnée intacte, aucune instance indemne. Touche qui, alors que l’on peut croire en saisir d’emblée l’assez insignifiante portée, pouvoir la tenir pour négligeable, se détache déjà, qui se détache sans pour autant s’en retourner vers quelque sens immergé en eaux profondes, qui se soustrait à la signifiance comme à l’insignifiance en ne laissant jamais, à fleur d’eau, que la marque d’un insaisissable passage, en n’imprimant jamais qu’une énigmatique oscillation au bouchon, qu’une impondérable secousse à la ligne.
Ainsi, ce « slogan », tout en donnant l’impression de renvoyer au plus plat des signifiés, joue-t-il sans frein des hasards du signifant, multiplie-t-il les opérations de type paragrammatique, ainsi fait-il, sous des dehors quelconques, proliférer les interpolations les plus insolites, les plus originales, pour ouvrir à une disséminante polysémie.
Oui, là encore, cherchez à concrétiser la touche en prise et elle vous filera entre les doigts.
Considérez d’abord le simple redoublement « vache/ vachement », à lui seul, sous son apparente trivialité, il ne fait rien moins qu’écarter sans retour la prétention du signe à s’offrir encore comme unité de base de la signification, et partant déboîte à nouveau toutes les clôtures de propriétés linguistiques, désarticule toutes les jointures rassurantes du discours.
Se mimant phonétiquement, le substantif et l’adverbe, le trait lexical et le trait grammatical, entrainent le sens propre à s’engager d’autant plus indécidablement dans le figuré, que, par ailleurs, le figuré en question relève encore du (langage) familier ; et voilà derechef qu’il n’y a déjà plus rien en lieu et place d’être pris.
Prétendez alors, vous obstinant, vous raccrochez à « Vaches / toro » ; à l’instant les « vaches » se seront changées en « toro », et, outrepassant tous les bords, vous en serez à « taure/ tore » ; et vous aurez la taure, (terme pouvant désigner régionalement une génisse) et le tore (terme de topologie désignant une surface de révolution engendrée par un cercle) qui, de se chevaucher cahin-caha, de s’enchevaucher, de ne plus pouvoir coïncider avec ce qu’elles sont censées être pour s’opposer, s’éclipsent aussi bien. Quasi immédiatement les genres, les catégories, l’élevage et les maths par ex., mais avant tout le masculin et le féminin, s’entrecroisent sans parvenir à s’insérer l’un dans l’autre ; quasi immédiatement, les valences sortent d’elles-mêmes, se transfèrent vers leurs opposés sans jamais réussir à le joindre, à s’y rejoindre. Dès lors que les « vaches » deviennent, « sont », un « toro », le genre et le nombre font irrémédiablement la culbute, les distinctions éponymes, qualitatives et quantitatives, en prennent un coup dont elles ne se relèveront plus.
Tentez alors d’empoigner le seul « toro » par les cornes et aussitôt vous replongerez dans (la) « piscine ». On vous lancera bien une bouée, mais quoi de cette dernière ? - « toro », en effet, fait encore se chevaucher le tore (mathématique) et la bouée, (la chambre à air de pneu), et ce, de retorse manière.
Pour l’approcher quelque peu, écrivez d’abord « tOro » et condensez, vous voilà avec – o - sur les bras : « surface », « structure » éminemment glissante s’il en est, qui ne vous tire de l’eau que pour vous replonger dans l’O. - « toro » produit ce qu’il induit, figure ce qu’il signifie, met en œuvre ce qu’il inscrit, mais ne le met en œuvre qu’à démettre, démancher et débouter, toute possibilité d’accomplissement. Sans délai, - toro -, ça se tore, et dès lors que ça se tore, ce n’est plus saisissable en tant que parengon topologique, ça « s’exécute » déjà.
(De sorte que vous venez déjà aussi de trahir le coup du tore en le donnant tant soit peu à voir, car JB, lui, vous le fait, ce coup, sans le rendre visible, laissant ainsi « mieux » « agir » sa non-spatialité.)
Ne convoquant le tore qu’à aussitôt lui faire perdre toute bilatéralité, qu’à franchir les intervalles constitutifs de l’unité mot, qu’à enjamber la distance du mot à la figure, ça se tore. Ça se tore de telle sorte qu’à vouloir le tenir en main on se la tord.
Entre le représentant de mot et le représentant de chose, il y a double renversement, portant en soi l’illustration de l’un des signifiés auxquels il renvoie, devenant de la sorte le référent de ce qu’il signifie, le signifiant excède les unités constitutives du langage, les frontières qui font du mot et de la chose des régions indépendantes : immersion, - « plongement », comme disent les férus de topologie - du tore, vertigineuse self-reference, « auto »-application, qui happe, engloutit toute autonomie, qui désosse tout autos.
Est-ce l’opération même du tore que ce « plongement », que cette « exécution », cet incessant sans dessus dessous, ce rabattement perpétuel du rebattu sur l’inouï, du en tant que tel sur son contraire?
Presque - car dès lors que ça se passe, encore une fois, à la « piscine », - o – n’est pas sans susciter à son tour encore l’image d’une « vraie bouée ». Supplément de tour, dé-tour supplémentaire du tore qui, dès lors, ne saurait univoquement être dit opérant, en cours d’exécution; sa mobilité métonymique, qui emporte tout, se déporte à son tour dans la (re)présentation métaphorique, - se saborde ainsi à s’opérer, perpètre sa propre « exécution » à la saborder.
La bouée de sauvetage participe du naufrage, le trope de la bouée ne repêche le tore en folie, ne lui sort la tête de l’O, que pour l’y mieux laisser couler.
D’ailleurs, il n’est que de reprendre le bout de la ligne pour achever d’être (con)vaincu, : - « vachement bien » : on ne peut plus manquer d’y entendre retentir – éventuellement par le biais de l’étranger, toro, muy bien - « meuh-bien ». Ecart à travers lequel l’adverbe s’ouvre maintenant à l’icône, le mot à l’onomatopée, et qui, en second écho, fait bien ouïr « Möbien » - (ou « Mœbien », si l’on souhaite souligner le nœud). Bref, à son tour, la bouée du tore (le tore en tant qu’objectivé dans l’image de la bouée) se fait sans délai mœbienne, se défait au biais du « mœbien », délie de tout de se lier répétitivement à son contraire.
Et voilà, c’est reparti, ça vient de repartir sur une surface sur laquelle plus rien n’est abordable en son lieu propre, où l’on ne peut plus se tenir, et qui ne se détient pas non plus elle-même, qui ne porte pas en soi sa propre vérité. - « meuh-bien », le mœbien ne se présente pas ici comme ultime paradigme (ne prétend pas dire quelque vérité du tore par-delà la métaphore, ce qui reviendrait à en faire encore une métaphore du tore). Aporétique tore-trope, il ne vient qu’à effectuer le mouvement en quoi il dé-consiste, il « se » meut bien, se mue sans arrêt « en folie » - se meuh-meut - se fiche pour ainsi dire souverainement de tout sens qui se voudrait plein de soi.
Et, à ce point d’éternel non-retour, l’on remarquera que cette récurrente traversée de toutes limites, tient toujours, de manière précaire, incertaine, incontrôlable, par l’un de ses multiples bouts, à la « pêche du Barbaut » ; non seulement parce que, étymologiquement parlant « toro-piscine » traduit « taureau-poisson », mais aussi, parce que dès lors qu’il jouxte « vaches en folie », ce mot composé donne encore à lire par le relais d’un Brisset (que JB prise) un – pis’y collent – qui superpose les métamorphoses ichtyo-sexuelles du pesca-tor.
Quoi dès lors du bord à bord de ces deux segments, tronçons, Antigone et Vaches en folie, du contact de ces deux lignes qui ne cessent de renverser, de contorsionner, de tordre, les données tant d’expression que de contenu, qui ne respectent plus les confins de quoi que soit. Qui, non satisfaites de multiplier les associations non-sémantiques, les coupures phonétiques, les brisures lexicales, les reversent encore à leur contraire, qui trangressent tout discours en suspendant dans le même temps leur trait transgressif, qui n’ont de cesse que de - faut-il dire s’assouplir ou se retendre ?
Antigone et Vaches en folie, autant dire Belles-Lettres et Intervilles, soit « larmes garanties ! » et « fou rire assuré ! » - Préparez vos Kleenex - pour quoi cependant? L’une des tragédies les plus dures, les plus méchantes, qui soit touche à la vache qui (fait qu’on) rit, l’insupportable mort d’une enfant avoisine la franche rigolade. Totale inadéquation, parfait mauvais goût, diront certains. Pourtant, « dure, méchante » ici ne résonne-t-il pas déjà en « vacharde », et dès lors n’est-ce pas, aussi, en parfaite adéquation. Alors quoi ?
Surplus, de « vacherie », de vachardise et de vache-rieuse, mouvement indiscernable sans commune mesure avec l’opposition de l’adéquat et de l’inadéquat. De vacherie en vache (qui)rit, déformation d’une fausse mise en abyme, abysse mimétique - demeure « un’ vach’-ri » aussi hyperbolique qu’elliptique, qui, de rapporter tout ce que l’on pourrait encore vouloir lui faire dire - de méchant, d’amusant, de poignant, de riant, de douloureux, de drôle, de vulgaire, de familièrement méchant ou vulgairement drôle, de drôlement insignifiant, de vachement signifiant, d’excessivement en excès, d’outrancièrement ceci ou cela, de ni ceci ni cela… - à l’autre, s’abîme(en)elle-même.
Impayable, dira-t-on encore, pour laisser venir ce qu’il y a là tout à la fois d’irrésistiblement comique et d’insolvable, d’incalculable, ce qui, de rire sans arrêt, s’extrait, s’extirpe, s’exile de toute économie circulaire. Il-hareng, ex-il-hareng, - Barbaut.
Sur la « côte d’usure », près de S’Trop’, il y a toujours un tour en sup’, production de plus-value (plus-de-j’ouïr, plus-de-rire) suivant de toutes autres lois que celle de la capitalisation linéairement accumulatrice. Vicariance ne faisant fond d’aucun capital, excès sans plus de code d’accès ; sans doute est-ce là une écriture qui chiffre, et pas qu’un peu, cependant, le faisant, « en plein air », à ciel ouvert, elle cesse de chiffrer quelque sens ultime renfermé dans un casier sur-sécurisé, elle ne chiffre que (de) l’in-déchiffrable.
- Soit, peut-être que cette pléthore de torsions retorses est à se tordre, diront ceux qui le connaissent mieux qu’un peu, - ceci dit, quand même, ces lignes, ces pièces, retrouvent un sens, voire reprennent une signification, au final. Il n’est que de prendre le titre de la page où elles s’écrivent, s’inscrivent, que de faire retour à son autorité : CE SOIR À CAVALAIRE. Là votre prétendue dérive hyperbolique regagne bien un lieu répertorié sur la carte, un terrain où l’on peut concrètement mettre les pieds, et partant une dimension assignable, celle tout simplement de l’autobiographie ! Le texte reconduit au contexte biographique. Ces jeux de mots, c’est en fait une manière amusante, tragi-comique, qu’il a de nous narrer sa propre histoire, sa propre enfance, non ? Dans la dernière ligne de la page ainsi titrée, ne convoque-t-il pas d’ailleurs « le cirque Dunper » ?!
- Il n’est pas question de nier que « Cavalaire » soit un lieu connoté, une station balnéaire étroitement associée à la vie de JB, néanmoins encore faut-il préciser que cela ne place aucunement ce nom à l’abri de la folie dit-mensionnelle que l’on pourrait dès lors être tenté de lui faire subsumer.
Tout en se rattachant à la biographie, le Cavalaire du titre de la page, loin de les rapporter univoquement à soi, se descend aussi, dans les lignes au-dessus desquelles il s’inscrit pour s’y perdre. Tandis qu’il peut paraître prétendre la rappeler à lui, cette sans-abri d’Antigone, notamment, se rappelle déjà insupportablement à lui.
Antigone est une enfant, et, par l’intermédiaire du « Lyonnais » auquel il est fait allusion juste auparavant, cette liaison à l’enfance est soulignée :
« gone » dans cet argot, c’est « gosse », « enfant ».
S’écrit alors Anti-gone - « anti-gosse », « anti-récit d’enfance », soit, entendu avec Deleuze-Guattari que tout souvenir d’enfance est « incurablement œdipien » - Anti-Œdipe. Oui, Anti-Euclide, Antigone, se traduit encore Anti-Œdipe, fait, aux antipodes de la biographie par laquelle on pensait la faire rentrer dans le rang, surgir à Cavalaire une vie an-œdipienne. Suivant toujours des propositions, voir le lexique, deleuzo-guattarien on peut en effet considérer que la, que les « déterritorialisations » d’Antigone fonctionnent ici en tant que « bloc d’enfance », zone de « connexions vivantes » se soustrayant à la loi « d’un père ». - A Cavalaire, - pas de calvaire - c’est la cavale, on prend la file de l’air.
- Sauf –
Sauf que dès lors l’irréparable aura été commis. En s’opposant au « Calvaire » (que l’on n’aura pu s’empêcher de lire tant cette contraction tombe sous le sens, tant, dès lors qu’on à affaire, ne pas l’oublier, à du poisson/pêcheur, le parcours biographique se double logiquement d’un parcours christique) - la cavale de Cavalaire dresse, aussi bien, sa croix, fait retentir le silence de la voix paternelle qu’elle renie.
On en est où ? – Dans les parages d’« Anti-gone du Calvaire », d’« anti-enfant de Marie »…
Et c’est alors qu’arrive d’une toute autre manière « le cirque Dunper ».
- Qu’est-ce que c’est, en effet, que ce « cirque » ? – Toujours quelque (pittoresque ?) cercle familial sous l’égide d’un père ? - Bien plus tôt tous les « cirques », si inconciliables soient-ils, à la fois, depuis la piste de spectacle qui sert d’assise aux acrobates et aux clowns, jusqu’à la dépression à parois abruptes, jusqu’au sol qui se dérobe.
- Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Cela (quoi ?) qui n’arrête pas de s’affaisser, d’évider de toute assiette, qui échappe à l’alternative de la piste et du gouffre, du disque et du cratère, cela qui conjugue de manière aussi singulière que cosmicomique, la Piste aux étoiles et le trou noir ; c’est un mot mis en perce sitôt que proféré, un volcano-vocable dont le socle se retrousse à tout instant, un signifiant invaginé, au travers duquel on ne cesse de passer, en travers duquel on reste dès lors tout autant coincé.
Que maintenant « Dunper » soit accolé aux bords de ce trou, et voyez vers où ça peut mener - c’est ouvert à tous les impairs, ça prend tous les repères à contrepied, voire partage tous les tor(e/t)s).
« Le cirque Dunper », tandis qu’il évoque pittoresquement tel contexte autobiographique, touristique, fait (produit) encore littéralement ce qu’il dit, ou plutôt, forant, perforant ce qu’il performe, mi-dit ce qu’il dé-fait. « Père-fore-matif » autant que « père-formatif », - (il n’y aura jamais aussi bien ne pas eu de métalangage) - père-foré, ça coulisse père-fore-hâtivement sans laisser le temps de comprendre où, quand, comment.
Le calvaire (du père) n’arrêtant pas son cirque, il faut reprendre : CE SOIR à CAVALAIRE, pas de cavale ni de calvaire - « Pas-de-Cavalaire », (comme dans (l’) « Pas-de-Calais ») - rien - qu’une prise d’air.
Et ça relance.
- « Cirque », en l’un de ses sens, (glaciaire, - pré-historique) a pour synonyme « verrou », or dès lors que c’est le cas, n’est-ce pas aussi, par-dessous le père bio-logique-graphique comme par-dessus le Père (éternel), un troisième père, (formateur, formatif) que Dunper sollicite, ce que l’on appelle un père « spirituel », en l’occurrence un Maître ès littérature? Oui, vers où va ce verrou sinon vers telles célèbres « significations bouclées à double tour » ?
Un « verrou », c’est bien par ailleurs pour les dictionnaires d’abord, « une pièce (de métal) qui coulisse » ? Et dès lors comment ne pas faire coulisser à son tour ce cirque sur les coulisses de la pièce Antigone ?
Ça n’a même pas besoin de nous, ça se fait, pour ainsi dire, tout seul dès lors que dans le segment se glisse « l’abri côtier ». « L’abri côtier » jusqu’ici laissé de côté, qui, de manière roussélienne, ne manque pas de se répercuter en arbre, en « l’abricotier », et donc de faire ouïr le fruit, « L’Abricot », soit la pièce, (d’autant que se faufile à proximité un « lez-Arts ») sans doute par excellence « bouclée à double tour », « bouclée dans la forme du fruit », de F. Ponge.
Reste qu’à ainsi venir, ce dernier père n’est pas plus modèle, fût-il dit à détruire, que les autres.
« L’abri côtier » appelant « L’Abricot » en l’épelant, l’appelant à la lettre, paraît d’abord ne l’appeler que pour l’abolir. Convoquant cette pièce, cet objet, ce fruit verbal, pareille sonorisation lui tourne immédiatement le dos, s’en coupe radicalement en pointant une « réalité » n’ayant strictement rien à voir avec ce qu’il est censé signifier.
Autrement dit, il ne convoque F. Ponge que pour faire, rendant le langage à son absurdité, sauter le verrouillage du procès de signifiance préconisé par ce dernier. En ne tenant compte que des mots, il brocarde non seulement la dimension cratyléenne de la tentative pongienne, (le fameux « parti pris des choses), mais jusqu’à son objeu dans la mesure où celui-ci, - dixit le poète lui-même quand il se fait théoricien - entend encore redonner à l’écriture un statut référentiel originaire, prétend toujours à un vouloir dire essentiel.
- C’est ça, c’est de la parodie. JB parodie FP en ne donnant sa part qu’au dit.
(Et puis d’ailleurs « l’abri côtier » n’est-ce pas le nom d’un camping ? Essayez d’imaginer notre néo-Malherbe, tenant de la francité s’il en est, au camping ?!)
Ce-pendant - cependant tout en rendant ainsi, caustiquement, « L’Abricot » à l’arbitraire, « l’abri côtier » n’est pas non plus sans en respecter la teneur, voire d’une certaine façon en garder la saveur. En effet, à y regarder à deux fois, n’apparaît-il pas que, F. Ponge recourant à la comparaison « moins que la peau d’une pêche » pour désigner l’épaisseur de celle du petit fruit, et à la métaphore « palourde des vergers » pour caractériser la réunion de ses oreillons, fait déjà plus que tendre lui-même la perche au « littoral », à cette marge, cette frange où « au lieu de l’humeur de la mer, celle de la terre ferme » nous est confiée ?
Ça n’aura donc pas été que pour des prunes qu’il sera venu là cet écho sonore. « Abri côtier » ne fait, en supplément de sa gratuité, rien moins qu’accomplir certaines potentialité sémantiques du texte pongien, qu’achever de justifier certaines de ses images. Réinscription de la chose même à même l’arbitraire, et partant écart de toute chose qui se voudrait encore en soi.
D’autant que la pièce de Ponge, sitôt qu’il y va de l’abricot à la pêche, soit de la pêche à l’abricot, n’est pas sans rétroactivement se replier à son tour sur, en l’occurrence, rien moins que le titre, cette fois non plus simplement de la page, mais, à nouveau, du livre de JB. En effet, si l’on pointe, d’une part, que la métaphore de la pêche (à pied) dans cette pièce implique une mise en abyme, celle que constitue l’abricot en tant que réplique miniature de la pêche, - et, d’autre part, que l’abri côtier, en tant que couramment « demeure du pêcheur », renvoie aussi à « L’ouverture de la pêche », ce dernier titre, quasi simultanément à la pratique halieutique, n’en vient–il pas à faire entendre l’ouverture du fruit ? - Au bout du compte, le devenir fruit-de-mer-que-l’on-pêche de l’abricot se retournant incessamment en devenir-fruit-mûr-que-l’on ouvre de la pêche, « L’Ouverture de la pêche » résonne, in-audiblement, de part et d’autre.
(Ainsi JB n’aura-t-il pas appelé son père littéraire pour se payer sa tête. S’il ne saurait être donné indubitablement pour Maître, Francis Ponge n’en reste pas moins pré-curseur - au sens coulissant plus haut entraperçu.)
Re-prenez.
Irréductible contiguïté de la pêche que l’on pratique et de la pêche que l’on mange, donnant à goûter l’une comme l’autre, la pêche du Barbaut ne laisse subsister aucune des deux, et moins encore leur unité reconstituée.
De détourner tous les codes, de se détourner de tous les champs d’appartenance sémantiques, de n’extraire les possibles de la langue que pour mieux les déporter, de rester sur la brèche, toujours et encore ouverte à l’autre, cette pêche-là n’est plus activité d’appropriation ni objet d’incorporation, mais tourne quasi incessamment à l’épreuve de discontinuité, pour en arriver à l’Impossible, en s’ouvrant - en allant jusqu’à s’ouvrir - à la dépêche.
La Dépêche est, dans « L’ouverture de la pêche » tirée d’une BD de Hergé (Le Secret de la Licorne), d’une vignette représentant le capitaine qui, en train de lire la gazette La Dépêche en marchant dans la rue, heurte violemment, une colonne Morris sur laquelle il lit un encart publicitaire vantant cette même gazette.
Or, dès lors que La Dépêche fait de la sorte irruption, par-dessus le choc que subit Haddock (lequel n’est pas figurativement reproduit), par-dessous le carambolage du signifiant et du référent auquel ce choc fait écho (le capitaine percutant en l’occurrence concrètement ce qui est l’objet de sa lecture), il y a encore télescopique télescopage des deux titres, L’Ouverture de la pêche et La Dépêche.
Retentissant tamponnement, - carambolage à distance, écart encastrant, en-castration - crucial à plus d’un titre, dont il faut, faute d’en jamais pouvoir achever la désincarcération, se hâter, se dépêcher, de dire quelques mots :
- La pêche / La Dépêche : concurremment à sa métamorphose fruitière, le mot « pêche » prend un autre sens encore, va violemment se loger dans un autre syntaxe, s’emboutir dans un régime de signes à cent lieues de ses significations, primaires ou secondaires. (Qui, par exemple, serait encore tenté de faire revenir la dissémination (fruitière) de naguère à la forme de quelque « pêche-abricot », le voici renvoyé sans délai vers la lettre qu’est d’abord une dé-pêche).
- La pêche / La Dépêche : par le biais d’un concomitant coup de dé- (de dis- qui indique l’éloignement, la séparation, la privation, l’action contraire), l’ouverture de la pêche revient à sa fermeture, l’autorisation de pêcher à son annulation, la pêche à sa cessation, en d’autres termes, plus rien ne revient à quoi que ce soit d’hégémonique, de cernable.
S’engageant tête baissée dans la Dépêche, la pêche s’engage derechef dans une de ces machinations topiques aux bouts desquelles ne reste plus aucune place à occuper sans que pour autant l’impossibilité de prendre place revienne prendre la place de sa possibilité.
Reste la dé-pêche - Reste une dé-pêche que rien n’empêche, pas même elle-même (dites encore une dé-pêche que rien n’empêche pas).
Plus rien ne revient à soi, - ce qui ne signifie plus que tout revient à rien - plus rien ne revient plus à rien non plus. Car enfin, en passant, on n’en aura pas moins pêché Haddock, - (ce) qui n’est pas rien, - (ce) qui n’est même rien moins qu’un - poisson.
Oui, à l’instant où la pêche, perdant toutes ses significations, vire à la dé-pêche, voilà qu’on ferre un poisson, - et pas n’importe lequel, un cabillaud qui donne un sacré fil à retordre! Car dès lors, - tout durant que cette prise vient ainsi dés-em-pêcher la dépêche - c’est encore, Barbaut et Haddock qui se heurtent, percutent, télescopent, qui s’insèrent de force l’un dans l’autre. La « pêche du barb(e)au(t) » entre en collision avec la « Dépêche du Haddock », choc inconcevable qui tord, replie, emboîte, telles des tôles, les pôles contraires, qui rabat inextricablement le « maquereau » (puisque « barbeau » peut aussi désigner le souteneur) et la « morue » (puisque, outre le fait qu’il soit barbu, l’églefin se distingue à peine du poisson qui désigne la prostituée) l’un sur l’autre, qui les arrache à leurs « attributions », « fonctions » respectives pour les faire, antérieurement à toute étreinte repérable, s’étreindre dans un seul et jamais même volume. Au biais d’une mixtion insoluble d’eau douce et d’eau toujours plus salée, l’exploiteur et l’exploitée, la faiseuse et le profiteur de passes, s’incluent réciproquement sans pour autant surmonter la relation d’exclusion à laquelle ils sont astreints : le maquereau passe morue-la morue maquereau sans pourtant que celui-ci se retrouve à la place de celle-là, et vice-versa. Torsion différentielle qui les maintient, aussi lâchement que fermement, en passe d’échanger leurs places, qui les fait différer d’eux-mêmes sans jamais leur permettre de regagner une nouvelle position. Passe en passe de passe. - Pas de passe. - Passe inouïe. Passe (qui passe) dessus-desssous les antipodes du proxénétisme, dessus-sessous tous les points extrêmes. - Qui soutient qui dès lors ? - Personne, - ou presque. Quelque très improbable « plie », « maquero », « moquerue » quelque intraitable « barbue » laisse le maître comme l’esclave sans soutien autre que leur inadaptée imbrication, leur coulissant, glissant, chassant enchâssement. Passe qui dépasse tous les fantasmes, qui dépasse tout, qui se passe de tout et de soi ; aucun embrassement, enlacement, accouplement, aucune étreinte, aucune passe, n’est plus susceptible d’en donner la mesure ; dé-mesuré, le désir qui l’entraîne ne s’accomplit plus dans l’imaginaire mais touche au réel.
Oui, à ce point de passage(s), c’est l’« effet de réel ».
Non pas que l’on ait le sentiment d’avoir, par-delà la valeur fonctionnelle du signe, touché, avec les « mots crus », avec le « macra », de la dé-pêche, à quelque plénitude référentielle, c’est bien plutôt dans l’étrange mesure où le signe n’a eu de cesse que de se vider de tout objet, de toute donnée, de tout contenu sémique, que le réel, tout à coup, surgit en destituant le lecteur, l’exégète, le sujet.
L’effet de réel de la dé-pêche ne tient pas à ce que celle-ci se donne encore pour indice de quelque réalité que ce soit, mais à ce qu’elle laisse jaillir, ici et maintenant, l’ahurissante certitude d’une « différence absolue » qui jamais ne se pourra (dé)montrer, être rejointe.
A ce point de passage(s), il y a chute de la portée de sens, l’investigation cérébrale est prise de court, de vitesse, par l’action directe du hors-sens sur le système nerveux. « Bouchon » de la dé-pêche, fixion opaque de jouissance qui, un court instant, arrête la jouissance du fictionnement sans fin du sens.
Stupeur. Saisissement qui sort du dés-saissement sans issue, qui le sort, le tire, de soi. L’infinitude de la passe passe à la fin par le réel. A force de manifester son impossible manifestation, l’Impossible se manifeste de fait, en effet, vous saisit, vous prend à bras-le-corps, vous prend à la vie, vous affecte. Effect de réel de la dé-pêche – prise qui laisse étourdit -